Adèle Mosonyi, dans sa série sur les chantiers, nous convie à une transhumance particulière.
C’est, assemblés, qu’un chantier véhicule la construction et la démolition, la perte et le gain en puissance, la ruine et l’édification, la pierre endeuillée et la pierre vêtue.
Les murs sont proposés, de loin, comme des nuées de l’exode, du transfert des humains – souvent des plus démunis – figées dans le perdu, à même l’horizon aboli.
Tout est trouble devant l’intimité à l’air libre, la transparence des desseins des occupants, entrailles et dépouilles de chair et de papier.
C’est la chute des murs qui licencie l’aperception de l’ombre des amants ; et, au plus fort de la chute et de l’ombre, seule demeure la déchirure.
Mais bientôt le vent, la poussière, l’orage séduisent le mur, conversent avec son revêtement, le raniment, l’alimentent.
Et le mur frémit depuis l’aube, rêve au crépuscule, chemine en ses fissures, se prête au voyage.
Pas sûr alors que la tourmente ou la pluie s’y promène avec son cortège de morts.
La vétusté s’écarte devant le vestige et le délaissé s’évanouit dedans le mur en délai.
Les destins de l’ombre soudain se soudent par le tissu mural en accolade.
Le mur, carnaval bigarré, se fait donc, sous le pinceau du peintre, canevas triomphant, délateur d’expulsions, mardi gras du fragmentaire.
C’est que ce qui s’engouffre entre les interstices des lambris et les tapisseries en lambeaux est plus puissant que la destruction, plus hâtif que les poussées de la ville : c’est la margelle où s’installe la boursouflure du vivant – son accouvage captivé par les collages de l’artiste – le puits jaugé par le rire des enfants.
Oui, un simple rire d’enfant brave l’oubli et suffit à instruire la filature de l’Etre.
L’éloquence du chantier perdure par delà son extinction.
Et la fête vient avec l’œil du passant qui l’ignore encore.
Adèle Mosonyi, tisserande de cette contexture, a fixé pour le regard de ce dernier, ravisseur de la fugue, cette interrogation sur le temps tenu en forclusion et sur l’espace délivré sans pudeur.
Sa série est un hymne au mouvement accordé, un soupir qui ondule la portée de la loi.
Murs en délai : murmures, marelles, mots d’amour ; comptines dans un désert de pierres.